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La libre circulation des électrons, une assurance sécurité énergétique pour l’Europe

 

Depuis le 13 octobre dernier et pour la première fois dans l’histoire récente, la France livre directement du gaz à son voisin allemand, privé d’une grande partie de ses approvisionnements habituels dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne. En échange, l’Allemagne s’est engagée, dans le cadre d’un accord de « solidarité européenne » avec la France, à lui fournir davantage d’électricité en cas de besoin.

Si cet exemple paraît à première vue constituer une réponse ponctuelle à des difficultés conjoncturelles, en particulier la fermeture du gazoduc Nord Stream et l’indisponibilité de près de la moitié du parc nucléaire français, les échanges transfrontaliers d’énergie sont en réalité depuis longtemps quotidiens en Europe.

Pays niché entre les trois plus grandes économies de l’Union européenne, la Suisse participe aussi à ce commerce en dépit de sa non-adhésion institutionnelle au marché européen de l’énergie. Ainsi, dans le domaine électrique, le réseau suisse est le plus interconnecté au monde avec pas moins de 41 points de liaison qui représentent un cinquième des capacités totales d’interconnexion et 10 % des échanges transfrontaliers en Europe. Tout en remplissant une fonction de transit cruciale pour la stabilité de l’ensemble du réseau électrique européen, la Suisse bénéficie elle-même de ces possibilités d’échange via la revente à l’étranger de sa production excédentaire, ou inversement au travers d’importations lorsque les besoins dépassent la production intérieure.

De telles capacités de commerce transfrontalier sont d’autant plus importantes que le bon fonctionnement du système électrique obéit à des contraintes très spécifiques. Il dépend en effet d’un équilibre permanent entre consommation et production, équilibre qui ne peut que partiellement reposer sur un mécanisme de réserve en raison d’obstacles techniques au stockage de l’électricité à grande échelle. Pour sa part, la consommation est à la fois irrégulière et délicate à différer dans le temps – pensons aux besoins d’éclairage en soirée ou aux appareils médicaux dont peuvent dépendre la survie de patients. Le maintien de l’équilibre du système peut donc devoir impliquer l’adaptation des capacités de production aux pics de demande, mais lorsque ceux-ci sont brefs, le temps d’utilisation des centrales électriques spécialement appelés pour les satisfaire l’est aussi. Or, ces équipements requièrent souvent des investissements de départ très coûteux qui sont difficiles à rentabiliser sans taux d’utilisation élevé.

La possibilité de faire appel à l’énergie de pays partenaires permet d’atténuer le surdimensionnement de l’appareil productif intérieur grâce à plusieurs facteurs. Tout d’abord, des différences géographiques ou culturelles comme celles liées aux heures de repas ou d’ensoleillement peuvent contribuer à décaler les pics de consommation entre pays, de sorte que la variabilité de la demande à l’échelle d’un ensemble de pays peut être plus faible qu’à l’intérieur d’un seul pays. Ces complémentarités se retrouvent aussi du côté de la production, notamment dans le cas de générateurs très dépendants des conditions météo comme les éoliennes, les panneaux solaires et les barrages. En Suisse, le commerce transfrontalier d’électricité tend ainsi à être excédentaire l’été et déficitaire l’hiver du fait des cycles de fonctionnement des centrales hydrauliques qui occupent une place majoritaire dans la production électrique intérieure. Le système d’échange avec les voisins agit donc à la manière d’une assurance qui réduit la variabilité et les coûts de gestion associés pour l’ensemble des participants.

Cependant, afin que le dispositif soit effectif et bénéficie à chacun, les réseaux nationaux d’électricité doivent non seulement être physiquement raccordés et synchronisés, mais les échanges d’électrons qui s’y déroulent doivent aussi être encadrés par des règles apportant aux pays engagés la garantie de pouvoir compter sur les livraisons de leurs voisins au moment où ils en ont besoin.

En septembre, une rumeur selon laquelle la France envisageait de suspendre ses exportations d’électricité à destination de l’Italie, de longue date importatrice nette, a certes été rapidement démentie, mais a rappelé la fragilité politique du marché européen de l’énergie. La Suisse, qui n’en fait pas partie, serait sans doute encore moins prioritaire dans les mécanismes de solidarité européenne face à d’éventuelles pénuries.

Pourtant, la Suisse contribue au bon fonctionnement de ce marché au travers de ses interconnexions et de ses barrages. En outre, son rôle de « super-batterie » est appelé à devenir encore plus important pour le reste de l’Europe en raison du poids croissant des sources d’énergie dites non pilotables (car dépendant de l’ensoleillement ou du vent) ainsi que du développement en Suisse de capacités inédites de stockage comme la centrale de Nant de Drance et les solutions innovantes de la start-up Energy Vault. Toutefois, le potentiel de ces complémentarités ne pourra pas être exploité sans entente politique sécurisante pour chacun des pays participants et sans coopération plus approfondie en matière d’échanges d’informations et de planification.

Le monde de l’énergie a d’avantage évolué lors de la dernière décennie qu’en un siècle.

Conjuguée avec l’entrée en force des technologies de l’information, cette dynamique ne fera que s’accélérer à l’horizon 2030-2050. Finie l’architecture «descendante»  propre aux industries de réseau, l’avenir appartient aux modèles éclatés qui s’articulent en grappes de microréseaux ou «microgrids». Ces nouvelles formes de flexibilité répondent aux enjeux d’insertion de la production renouvelable ; elles vont changer la nature des réseaux mais aussi leur exploitation. Avec Softcom, cet avenir se matérialise en Suisse.